Media Relations

Densité anormalement faible du lynx en Valais

Les grands prédateurs ont amorcé leur retour dans les montagnes suisses à partir des années 1970, en commençant par le lynx. En 2012, des chercheurs de l’Université de Berne ont lancé un projet sur les fluctuations spatio-temporelles entre les grands carnivores (loup et lynx) et leurs proies (cerf, chamois, chevreuil, etc.) dans les Alpes. L’objectif est de quantifier l’impact numérique réel de cette prédation sur la faune sauvage. Les densités de lynx observées en Valais durant les cinq derniers hivers se sont avérées anormalement basses en comparaison des densités actuelles au sein des autres populations de Suisse et de la situation qui prévalait en Valais dans les années 1980. Les scientifiques poursuivent leurs investigations pour tenter d’en comprendre les raisons. Un braconnage rampant semblerait en être l’origine.

Depuis plusieurs décennies et à travers toute l’Europe, les grands prédateurs recolonisent les habitats qu’ils avaient occupés durant des millénaires, soit avant que l’homme ne les y extermine par les armes à feu et le poison. Ce retour ne laisse personne indifférent: les grands prédateurs ont longtemps joué un rôle important dans l’imagerie populaire et leur réhabilitation ne va pas sans heurts car ils peuvent s’en prendre aux animaux de rente (moutons, etc.).

Relève méthodique de traces et pièges photographiques

Toutefois, le retour des grands carnivores a été rendu possible essentiellement par la reconstitution progressive, au cours du siècle passé, des populations de leurs principales proies naturelles : principalement les ongulés sauvages. On oublie souvent que des espèces telles que le chamois et le chevreuil étaient devenues rarissimes au tournant du 20ème siècle, tandis que le bouquetin et le cerf avaient été éradiqués du territoire helvétique. Durant la seconde moitié du 20ème siècle, cette situation allait être corrigée par les chasseurs et les protecteurs de la nature dont l’action a permis de reconstituer les populations florissantes que nous observons aujourd’hui. Ce sont ces effectifs abondants du gibier qui permettent le retour des grands carnivores sur leurs anciens bastions.

Afin de mieux comprendre l’impact des grands prédateurs sur les effectifs de leurs proies sauvages naturelles (cerf, chevreuil et chamois), des chercheurs de l’Université de Berne ont lancé en 2012 un vaste projet de suivi des populations dans les Alpes valaisannes. Ce projet est soutenu notamment par l’Office Fédéral de l’Environnement. Le travail des chercheurs consiste principalement à relever méthodiquement les traces de ces animaux dans la neige, entre novembre et mars, le long de 218 transects d’un kilomètre de longueur répartis à travers tout le canton. En parallèle, une centaine de pièges photographiques, également répartis sur tout le territoire cantonal, permettent de récolter des observations complémentaires.

Rares observations de lynx 

Le dépouillement de l’information récoltée au cours de cinq hivers a révélé une suprise de taille : les observations de lynx obtenues via ce dispositif de suivi se sont avérées rares. Les estimations effectuées par les scientifiques de l’Université de Berne indiquent une densité moyenne de 0.32 lynx pour 100 km2 d’habitat favorable sur l’ensemble du territoire valaisan. Cette densité est nettement plus faible que dans les autres régions des Alpes suisses (1.4 à 2 lynx/100 km2) et du Jura (jusqu’à 3.6 lynx/100 km2). Au total, seuls 15 individus différents ont été observés au cours de cinq hivers. Ils se trouvaient pour la plupart dans la partie Nord-Ouest du canton, soit à proximité des populations florissantes des Préalpes romandes (Vaud et Fribourg). Le lynx est par contre aujourd’hui très rare au Sud du Rhône, en particuler dans le Chablais et les Vals d’Hérens, d’Anniviers et de Tourtemagne, ainsi que dans la Vallée de Conches.

Cette situation est d’autant plus étonnante que la région qui va de Nendaz à Brigue abritait une bonne densité de lynx dans les années 1980 (travaux de recherche du Prof. Heinrich Haller, actuel directeur du Parc National suisse). 58% du territoire valaisan est considéré comme propice au lynx. Une extrapolation des valeurs de densités observées ailleurs dans les Alpes suisses donnerait une fourchette de population potentielle de 35 à 53 lynx indépendants sur le territoire valaisan. La population actuelle semble donc bien loin du compte.

Le braconnage comme origine?

Les scientifiques cherchent maintenant à comprendre l’origine de cette densité anormalement faible : 1) le dispositif de suivi par piégeage photographique doit-il être revu car pas assez efficace? ; 2) les densités de proies potentielles (chamois et chevreuil) sont-elles beaucoup plus basses en Valais  que dans les autres régions des Alpes helvétiques habitées par le lynx? ; enfin, 3) le braconnage, dont se vantent certains, jusque dans les médias, pourrait-il avoir contribué à la raréfaction du lynx en Valais?

Le professeur Raphaël Arlettaz, qui dirige le projet, a toutefois déjà son idée sur la question : «Il faut être prudent à ce stade de nos recherches, mais les nouvelles analyses en cours semblent effectivement indiquer qu’un braconnage rampant du lynx existe en Valais, et ceci probablement depuis des décennies. Malheureusement, les allégations de certains chasseurs qui se vantent régulièrement de commettre de tels actes – véhiculés haut et fort par une certaine presse – n’ont juste qu’à tout récemment guère été prises au sérieux par les gestionnaires de la faune.»

 

Publication:

Biollaz, F., S. Mettaz, F. Zimmermann, V. Braunisch & R. Arlettaz. 2016: Statut du lynx en Valais quatre décennies après son retour : suivi au moyen de pièges photographiques. Bulletin de la Murithienne 133/2015: 29-44, 28 Novembre 2016

28.11.2016