La mission CHEOPS prolongée

Après plus de trois ans en orbite, la mission du télescope spatial CHEOPS vient d’être prolongée. Menée par l’Université de Berne en collaboration avec l’Université de Genève, CHEOPS est une mission conjointe de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et de la Suisse. Ce 7 Mars, le ‘Science Programme Committee’ de l’ESA a confirmé la continuation des opérations de CHEOPS jusqu’en 2026 avec une éventuelle extension jusqu’en 2029, conditionnée aux engagements des contributeurs nationaux et autres partenaires. Depuis son lancement en décembre 2019, les mesures extrêmement précises prises par le satellite ont contribué à de nombreuses découvertes capitales dans le domaine des exoplanètes. La prolongation de la mission va permettre d’étudier ces mondes fascinants autour d’autres étoiles, de manière encore plus approfondie.

Contrairement aux précédents satellites qui ont été conçus pour trouver des exoplanètes – des planètes orbitant autour d’autres étoiles que le Soleil – en observant des dizaines de milliers d’étoiles de façon simultanée, CHEOPS a été optimisé pour n’observer qu’une seule étoile à la fois et il cible des étoiles déjà connues pour avoir des compagnons planétaires. Le but de CHEOPS est donc d’aller au-delà du simple recensement des exoplanètes, et de mesurer certaines de leur caractéristiques-clés, en particulier leur taille, grâce à son extrême précision. C’est cette précision qui permet aux astronomes de déduire ce dont sont composées ces planètes : en combinant les mesures de taille réalisées par CHEOPS, avec les masses précédemment connues des planètes, on peut déterminer leur densité. Les planètes denses comme la Terre sont principalement composées de roches et de métaux, tandis que les planètes de faible densité telles que Jupiter sont principalement composées de gaz. Ces compositions résultant du processus de formation planétaire, les déterminer nous ouvre une fenêtre sur l’histoire passée des systèmes planétaires, permettant in fine de comprendre la genèse de notre propre système solaire.

Observer les propriétés des exoplanètes

« À cet égard, la mission a été un franc succès, » souligne Willy Benz, professeur émérite en astrophysique à l’Université de Berne, et également à la tête du consortium CHEOPS, «la précision de CHEOPS a dépassé toutes les prévisions et nous a permis de déterminer les propriétés de nombreuses exoplanètes. »

Ainsi, en observant minutieusement les changements de luminosité lorsque la planètes WASP-103b passe devant son étoile, les scientifiques de l’équipe CHEOPS ont réalisé que la planète est déformée comme une balle de rugby en raison de l’intense gravité de l’étoile toute proche. De telles planètes sont si chaudes que CHEOPS a pu détecter leur lumière tout au long de leur orbite autour de leur étoile. « L’éclat détecté par CHEOPS pour la planète WASP-189b n’est équivalent qu’à quelques millionièmes de la lumière émise par son étoile ; il est lié à la température de l’atmosphère de la planète et à sa couverture nuageuse. Il est donc clair que CHEOPS peut faire bien plus que ‘simplement’ mesurer la taille d’une planète, » explique le professeur David Ehrenreich de l’Université de Genève, qui est le co-coordinateur de l’équipe internationale de plus d’une centaine de scientifiques travaillant à l’exploitation de la mission.

D’autres découvertes fascinantes avec l’extension de la mission

La mission initiale de CHEOPS était prévue pour durer trois ans et demi, soit jusqu’en septembre 2023. La publication de plus cinquante articles scientifiques dans des journaux internationaux, sur la base des données de CHEOPS, atteste de la qualité exceptionnelle de la science produite par la mission. Le satellite a effectué ses opérations sans anicroche malgré la pandémie de COVID-19, et sa santé est excellente compte tenu des rudes conditions du vide spatial, où le satellite est constamment bombardé de rayons cosmiques et de radiations de haute énergie. Tous ces éléments ont convaincu l’équipe CHEOPS de proposer une extension de la mission au-delà de 2023. La prolongation des opérations de CHEOPS vient d’être confirmée par le ‘Science Programme Committee’ de l’ESA jusqu’au moins 2026, conditionnée à la continuité du support des contributeurs nationaux et autres partenaires de la mission. Les membres de l’équipe CHEOPS sont originaires de 40 instituts à travers toute l’Europe : outre l’ESA, 11 pays, dont la Suisse avec un rôle de premier plan, se sont rassemblés pour financer et construire le télescope entre 2012 et 2019. « CHEOPS peut continuer de compter sur le soutien plein et entier des agences de financements participantes, y compris la Suisse, pour l’extension de la mission, et sur le fait que la position de leader de la Suisse dans la mission CHEOPS (et son extension) est possible grâce à l’adhésion de la Suisse à l’ESA et par sa participation au programme PRODEX, » déclare Oliver Botta, président du Comité d’Orientation de CHEOPS.

Avec la prolongation nouvellement approuvée de la mission, l’équipe de CHEOPS prévoit de continuer à utiliser le satellite dans le domaine où il excelle, tout en tentant de nouveaux types d’observations. « Nous avons seulement effleuré l’étendue des capacités de CHEOPS, il y a bien plus de projets scientifiques qui peuvent être menés avec le satellite et nous avons hâte de les explorer durant l’extension, » indique Benz. « Un résultat des plus exaltants serait la découverte de la première exolune, » confie Ehrenreich. « De nombreuses planètes de notre système solaire ont des lunes, nous nous attendons donc à en trouver également autour d’exoplanètes, et CHEOPS observe d’ailleurs actuellement des candidats potentiels. Il est cependant très complexe de détecter des exolunes, car elles sont petites, et donc leur signal est très faible. Cela dit, CHEOPS est assez précis pour trouver des exolunes aussi petites que Mars, qui fait le double de taille de notre Lune. Si de telles lunes existent dans les systèmes que nous observons, nous pourrions les trouver pendant la mission étendue. »

Un rôle unique dans le paysage des missions spatiales

Une autre caractéristique unique de CHEOPS est sa capacité à joindre ses forces avec d’autres missions spatiales tel que le télescope spatial James Webb (JWST), une mission conjointe de la NASA et de l’ESA. CHEOPS nous permet d’affiner notre connaissance des exoplanètes préalablement connues, afin de sélectionner les meilleures candidates susceptibles d’être observées par JWST afin de sonder l’atmosphère de ces planètes. « Grâce aux observations de CHEOPS, nous avons pu obtenir du précieux temps d’observation sur JWST pour observer les planètes du système TOI-178 afin de déterminer la composition de leur atmosphère, ce qui nous permettra de mieux comprendre l’évolution dynamique passée du système, » précise le professeur Yann Alibert de l’Université de Berne. Alibert coordonne le programme CHEOPS dédié au suivi des systèmes multi-planétaires découverts par le satellite TESS de la NASA. « C’est un exemple de parfaite synergie entre CHEOPS et d’autres missions : TESS a initialement trouvé 3 planètes orbitant l’étoile TOI-178. Lorsque CHEOPS a observé ce système, il a découvert trois planètes supplémentaires et révélé une remarquable mais fragile harmonie orbitale, ce qui nous a conduit à faire l’hypothèse que le système n’a pas été perturbé depuis des milliards d’années, » explique Alibert.

« Les scientifiques ont hâte de découvrir les prochaines surprises livrées par CHEOPS ; ce qui est certain désormais, c’est que CHEOPS va continuer à faire de nouvelles découvertes pour les années à venir, » conclut Benz.

CHEOPS – À la recherche de planètes potentiellement habitables

La mission «CHEOPS» (CHaracterising ExOPlanets Satellite) est la première des «missions S-class» de l’ESA avec un budget bien inférieur à celui des missions de grande et moyenne taille, et une période plus courte entre le début du projet et le lancement.

CHEOPS se consacre à la caractérisation des transits d’exoplanètes. CHEOPS mesure les variations de luminosité d’une étoile lorsqu’une planète passe devant elle. Ces valeurs permettent de déduire la taille de la planète et ensuite de déterminer sa densité avec l’aide des données déjà disponibles. On obtient ainsi des informations capitales sur ces planètes —par exemple, si elles sont principalement rocheuses, si elles sont composées de gaz ou si on y trouve des océans profonds. C’est une étape importante pour déterminer si une planète réunit des conditions favorables au développement de la vie.

CHEOPS a été conçu dans le cadre d’une collaboration entre l’ESA et la Suisse. Un consortium de plus d’une centaine de scientifiques et ingénieurs originaires de onze pays européens a participé à la construction du satellite pendant cinq ans sous la direction de l’Université de Berne et de l’ESA.

Mercredi 18 décembre 2019, CHEOPS a commencé son voyage dans l’espace à bord d’une fusée Soyouz-Fregat, au centre spatial européen de Kourou, en Guyane française. Depuis lors, le satellite spatial tourne autour de la Terre à une altitude de 700 kilomètres, le long de la frontière entre le jour et la nuit (terminateur). Il en fait un tour complet en une heure et demie environ.

La Confédération suisse participe au satellite CHEOPS dans le cadre du programme PRODEX (Programme de Développement d’Expériences scientifiques) de l’Agence spatiale européenne ESA. Grâce à ce programme, des contributions nationales pour des missions scientifiques peuvent être développées et mises en place par des équipes de projet issues de la recherche et de l’industrie. Ce transfert de connaissances et de technologie entre la science et l’industrie confère à la Suisse un avantage concurrentiel structurel en tant que place économique et permet à des technologies, des processus et des produits de se répandre sur d’autres marchés et de générer ainsi une valeur ajoutée pour notre économie.

Plus d’informations : https://cheops.unibe.ch/fr/

Recherche en astrophysique bernoise : parmi l’élite mondiale depuis le premier alunissage

Le 21 juillet 1969, Buzz Aldrin, deuxième homme à descendre du module lunaire, a été le premier à déployer la voile à vent solaire bernoise et à la planter dans le sol lunaire avant même le drapeau américain. Le Solar Wind Composition Experiment (SWC), planifié, construit et évalué par le Prof. Dr. Johannes Geiss et son équipe à l’Institut de physique de l’Université de Berne, a été le premier moment fort de l’histoire de la recherche en astrophysique bernoise.

La recherche en astrophysique bernoise fait depuis lors partie de ce qui se fait de mieux au niveau mondial : l’Université de Berne participe régulièrement aux missions spatiales de grandes organisations spatiales comme l’ESA, la NASA ou la JAXA. Dans le cadre de la mission CHEOPS, l’Université de Berne partage la responsabilité avec l’ESA pour l’ensemble la mission. En outre, les scientifiques bernois font partie de l’élite mondiale dans le domaine des modélisations et des simulations relatives à la naissance et au développement des planètes.

Les travaux fructueux du Département de recherche en astrophysique et planétologie (RAP) de l’Institut de physique de l’Université de Berne ont été consolidés par la fondation d’un centre de compétence universitaire : le Center for Space and Habitability (CSH). Le Fonds national suisse a en outre accordé à l’Université de Berne le financement du pôle de recherche national (PRN) PlanetS, qu’elle dirige avec l’Université de Genève.

Les exoplanètes à Genève: 25 ans d’expertise couronnés par un prix Nobel

La première exoplanète a été découverte en 1995 par deux chercheurs de l’Université de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, lauréats du prix Nobel de physique 2019. Cette découverte a permis au Département d’astronomie de l’Université de Genève de se situer à la pointe de la recherche dans le domaine avec notamment la construction et l’installation de HARPS sur le télescope de 3,6m de l’ESO à La Silla en 2003. Ce spectrographe est resté pendant deux décennies le plus performant du monde pour déterminer la masse des exoplanètes. HARPS a cependant été surpassé en 2018 par ESPRESSO, un autre spectrographe construit à Genève et installé sur le Very Large Telescope (VLT) à Paranal, au Chili.

La Suisse s’est aussi engagée dans les observations depuis l’espace des exoplanètes avec la mission CHEOPS, résultat de deux expertises nationales, d’une part le savoir-faire spatial de l’Université de Berne avec la collaboration de son homologue genevoise, et d’autre part l’expérience au sol de l’Université de Genève secondée par sa consœur de la capitale helvétique. Deux compétences scientifiques et techniques qui ont également permis de créer le pôle de recherche national (PRN) PlanetS.

09.03.2023